jeudi 21 août 2008

...du reste de ta vie

Ceux qui lisent régulièrement ce blog (est-ce que c'est simplement l'été ou est-ce que c'est simplement que ce que j'écris n'intéresse plus personne ? je n'ai quasiment plus de commentaires, et peut-être donc plus de lecteurs ?...) le savent : j'aime les petites histoires qui disent des choses plus profondes qu'elles ne le laissent paraître de prime abord. C'est pour ça que je suis un lecteur de fictions uniquement, et que j'aime les films "réalistes" : parce qu'ils offrent une fenêtre pour entrer dans ma réflexion, parce qu'ils me marquent souvent très profondément, en ce qu'ils me rejoignent profondément...
Je suis allé voir par le plus grand des hasards (merci la carte UGC et les après-midis d'errance cinématographique...) Le premier jour du reste de ta vie, de Rémi Bezançon. Non seulement par hasard mais, qui plus est, à contre-coeur : j'avais vu la bande-annonce, et elle ne reflète pas le vrai visage du film, à mon sens. On s'attend à voir une gentille comédie française - c'est à une micro radioscopie de la famille française qu'on assiste pendant près de 2 heures.
L'histoire ? en cinq chapitres, qui sont autant de dates marquantes, on nous raconte l'histoire d'une famille française. D'une simple famille française - une petite histoire, en somme, faite de petites choses, de ces détails qui ne marquent absolument pas l'Histoire, ni même l'histoire : un fils qui part habiter seul, une fille qui grandit, un père qui a mal au dos... Impossible d'en raconter plus parce que ce film est fait de petites choses, de ces choses qui, moi, me touchent tellement profondément.
Ils sont donc cinq acteurs principaux, et les quelques autres qui gravitent autour d'eux : ainsi Roger Dumas est-il un grand-père vraiment remarquable, et Jacques Gamblin un père à la fois présent, discret, attentif et effacé - mais c'est Zabou Breitman qui porte le film de bout en bout, à mon sens : on la voit vieillir avec ses enfants, ne plus les comprendre, essayer de continuer à être là quand même, et c'est absolument formidable. La manière dont elle mange quand même un petit four au mariage raté de son fils raconte beaucoup sur cette mère, et sur la parfaite adéquation de son interprète.

lundi 11 août 2008

viré

Il y a maintenant 8 ans que j'exerce à plein temps le métier de chanteur.
Je suis très lucide sur mes qualités et mes défauts - surtout mes défauts, il est vrai. J'ai, entre beaucoup d'autres, celui de n'être pas sûr de moi, de me sentir souvent illégitime, comme un imposteur au sein d'une équipe. Pendant de nombreuses années, je suis souvent parti pour une production en me disant que j'en serais certainement viré avant la fin, qu'ils se rendraient compte que je n'étais pas la personne requise pour ce travail et qu'il y avait erreur...
Et puis j'ai progressé, au moins sur ça : je travaille, dur, pour arriver le plus prêt possible aux premières répétitions, sachant que la première impression est souvent marquante et durable, et j'ai perdu cette inquiétude qu'on me dise "désolé, mais on s'est trompés, vous pouvez rentrer chez vous". On me dit souvent que je suis un chanteur fiable, et ce n'est pas la moindre de mes avancées.
Et voilà que ça m'arrive - que ça m'arrive en fait pour la première fois : samedi, un chef avec qui j'avais eu grand plaisir à travailler m'a envoyé un mail pour me dire qu'en fait il préférait que je reste chez moi pour la suite de la production, le mois prochain. C'est amusant : je m'y attendais, quelque chose que je ne saurais pourtant décrire dans l'ambiance du travail m'avait gêné, malgré son intérêt. Sans doute sentais-je que j'étais à la limite de mes moyens, et surtout qu'on ne me disait rien pour soit me mettre à l'aise soit me faire avancer.
Je me retrouve donc avec plein de temps libre le mois prochain. J'aurai le temps de retourner au cinéma, de m'occuper de ma maison, de regarder les quarante films que j'ai enregistrés, de travailler pour la suite (chargée) - peut-être aussi un peu de me remettre en question et, pourquoi pas, de déprimer. Mais je vais essayer de ne pas...

mardi 5 août 2008

l'Emmerdeuse

C'était un long voyage en train, de ces voyages qu'on aime faire tranquilles, en lisant ou en dormant un peu...
Elle est montée à Lyon. Je l'ai tout de suite vue : entre deux âges, habillée comme Simone de Beauvoir sur les photos de ses livres, avec un turban sur la tête - d'une élégance surannée, et des lunettes depuis longtemps passées de mode.
Elle a tout de suite commencé à parler avec sa voisine, juste de l'autre côté du couloir. Quand je dis parler - à solliloquer comme ces gens atteints de diarrhée verbale qui peuvent parler (à forte et intelligible voix, autant que faire se peut) de tout pendant des heures à leur voisin qui n'en peut mais. Il suffit d'acquiescer une seule fois pour que le flot se déverse, sans jamais tarir. Nous apprîmes donc que l'Emmerdeuse était professeur dans une université et qu'elle allait en vacances chez un de ses enfants, qu'elle devait encore changer de train à Vendôme pour prendre la dernière correspondance pour Paris et qu'il ne fallait pas qu'elle la rate, sinon elle serait bien embêtée mais peut-être qu'elle pourrait éventuellement descendre à Tours pour dormir chez un autre fils si on avait un problème.
Voilà notre Emmerdeuse partie vers la voiture bar (après avoir longuement disserté à forte voix sur quelle direction prendre pour y aller, et si la voiture bar était en wagon 14 ou 4, parce que la semaine dernière c'était dans la 4...) et, du même coup, notre "espace bas" redevenu tranquille. Je me replonge délicieusement dans Bassani (ça, j'en reparlerai !) - et revoilà notre Emmerdeuse, rassasiée, qui revient une demi-heure plus tard en disant que vraiment c'est pas si cher le wagon bar, qu'on paie le même prix dans un restaurant, qu'il y a une formule à tel prix et une autre à tel autre et que quand même c'est pas si mauvais, en fin de compte.
Puis, enfin, elle entame la lecture attentive (et annotée) d'un gros livre. Normal, pour un prof d'université, pensé-je. Nous voilà tranquilles, pensé-je aussi. Las ! il fallait à notre Emmerdeuse un calme et un silence total pour lire - ce qui, après le bordel qu'elle avait foutu en parlant haut et fort, était déjà un comble : la voilà donc partie à arpenter le couloir et à dire à untel "c'est votre ordinateur qui fait ce bruit ?", à tel autre "vous pourriez baisser vos écouteurs ?"... J'ai cru voir Dolorès Ombrage sortie d'un Harry Potter.
On continue notre longue route, l'Emmerdeuse lisant et annotant, puis enfin dormant (l'occasion pour moi de voir qu'elle lit, avec toute l'attention susnotée, une biographie d'... Yves Saint-Laurent !). Puis, tout d'un coup, la panne : le train s'arrête, sans explication, puis, un moment après, on apprend que nous avions un problème de caténaire et que nous allions devoir repartir en sens inverse, que nous aurions donc probablement un retard d'une demi-heure au moins.
Voilà donc notre Emmerdeuse, bien réveillée, qui recommence à parler à sa voisine de son train à prendre à Vendôme, de ce que c'est le dernier et de ce qui se passera si on a du retard - et de vérifier, une fois encore, sur son horaire, prenant sa voisine à témoin de l'horreur de sa situation.
Le retard se confirme et même augmente. L'Emmerdeuse demande donc à mon voisin (celui à qui elle a tout à l'heure dit de baisser ses écouteurs) si elle peut lui emprunter son portable parce qu'elle n'en a pas ("mon frère dit que je suis un fossile", ajoute-t-elle), pour appeler son fils. Il s'exécute, pas rancunier. La communication est mauvaise et elle hurle dans le téléphone (puisqu'elle parlait déjà bien fort à sa voisine, c'était inévitable) qu'elle est dans le train ("nous aussi", dit quelqu'un dans son dos !) et qu'elle sera en retard parce qu'"on a un problème de cathéter".
Tout le wagon éclate de rire. Il n'y avait donc pas que moi qui étais exaspéré...