mardi 5 août 2008

l'Emmerdeuse

C'était un long voyage en train, de ces voyages qu'on aime faire tranquilles, en lisant ou en dormant un peu...
Elle est montée à Lyon. Je l'ai tout de suite vue : entre deux âges, habillée comme Simone de Beauvoir sur les photos de ses livres, avec un turban sur la tête - d'une élégance surannée, et des lunettes depuis longtemps passées de mode.
Elle a tout de suite commencé à parler avec sa voisine, juste de l'autre côté du couloir. Quand je dis parler - à solliloquer comme ces gens atteints de diarrhée verbale qui peuvent parler (à forte et intelligible voix, autant que faire se peut) de tout pendant des heures à leur voisin qui n'en peut mais. Il suffit d'acquiescer une seule fois pour que le flot se déverse, sans jamais tarir. Nous apprîmes donc que l'Emmerdeuse était professeur dans une université et qu'elle allait en vacances chez un de ses enfants, qu'elle devait encore changer de train à Vendôme pour prendre la dernière correspondance pour Paris et qu'il ne fallait pas qu'elle la rate, sinon elle serait bien embêtée mais peut-être qu'elle pourrait éventuellement descendre à Tours pour dormir chez un autre fils si on avait un problème.
Voilà notre Emmerdeuse partie vers la voiture bar (après avoir longuement disserté à forte voix sur quelle direction prendre pour y aller, et si la voiture bar était en wagon 14 ou 4, parce que la semaine dernière c'était dans la 4...) et, du même coup, notre "espace bas" redevenu tranquille. Je me replonge délicieusement dans Bassani (ça, j'en reparlerai !) - et revoilà notre Emmerdeuse, rassasiée, qui revient une demi-heure plus tard en disant que vraiment c'est pas si cher le wagon bar, qu'on paie le même prix dans un restaurant, qu'il y a une formule à tel prix et une autre à tel autre et que quand même c'est pas si mauvais, en fin de compte.
Puis, enfin, elle entame la lecture attentive (et annotée) d'un gros livre. Normal, pour un prof d'université, pensé-je. Nous voilà tranquilles, pensé-je aussi. Las ! il fallait à notre Emmerdeuse un calme et un silence total pour lire - ce qui, après le bordel qu'elle avait foutu en parlant haut et fort, était déjà un comble : la voilà donc partie à arpenter le couloir et à dire à untel "c'est votre ordinateur qui fait ce bruit ?", à tel autre "vous pourriez baisser vos écouteurs ?"... J'ai cru voir Dolorès Ombrage sortie d'un Harry Potter.
On continue notre longue route, l'Emmerdeuse lisant et annotant, puis enfin dormant (l'occasion pour moi de voir qu'elle lit, avec toute l'attention susnotée, une biographie d'... Yves Saint-Laurent !). Puis, tout d'un coup, la panne : le train s'arrête, sans explication, puis, un moment après, on apprend que nous avions un problème de caténaire et que nous allions devoir repartir en sens inverse, que nous aurions donc probablement un retard d'une demi-heure au moins.
Voilà donc notre Emmerdeuse, bien réveillée, qui recommence à parler à sa voisine de son train à prendre à Vendôme, de ce que c'est le dernier et de ce qui se passera si on a du retard - et de vérifier, une fois encore, sur son horaire, prenant sa voisine à témoin de l'horreur de sa situation.
Le retard se confirme et même augmente. L'Emmerdeuse demande donc à mon voisin (celui à qui elle a tout à l'heure dit de baisser ses écouteurs) si elle peut lui emprunter son portable parce qu'elle n'en a pas ("mon frère dit que je suis un fossile", ajoute-t-elle), pour appeler son fils. Il s'exécute, pas rancunier. La communication est mauvaise et elle hurle dans le téléphone (puisqu'elle parlait déjà bien fort à sa voisine, c'était inévitable) qu'elle est dans le train ("nous aussi", dit quelqu'un dans son dos !) et qu'elle sera en retard parce qu'"on a un problème de cathéter".
Tout le wagon éclate de rire. Il n'y avait donc pas que moi qui étais exaspéré...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

même moi qui n'était pas dans le train, elle me fait rire :D