dimanche 18 novembre 2007

polars doux

Quand j'étais à la Fac de Lettres, j'avais dans l'idée que la littérature contemporaine ne valait même pas la peine qu'on s'y intéresse. Idée qui a perduré longtemps après la fin de mes études.
Puis j'ai eu dans l'idée que la littérature française contemporaine ne valait pas la peine qu'on s'y intéresse. Idée qui perdure un peu. "Mais quand même", me suis-je dit : et j'ai, il y a quelques semaines tout juste, foncé vers ma librairie pour acheter quelques romans d'auteurs français vivants, pour voir un peu et me faire un idée en-dehors de mon a priori...
Comme le hasard, qui n'existe pas, fait toujours bien les choses, j'ai acheté trois romans qui se ressemblent par leur thématique : ce sont tous les trois des sortes de polars - disons des romans où les personnages enquêtent. Mais l'objet de cette enquête n'est pas au centre de l'action et c'est bien plutôt l'enquêteur qui est au centre de l'action et, du coup, de sa propre enquête.
Prenons donc Rue des Boutiques Obscures, de Patrick Modiano : le narrateur décide, après des années d'amnésie, de retrouver qui il fut, et qui ont été les gens qui ont fait son ancienne vie. J'aime le swing lent et enivrant des textes de Modiano, cette présence constante d'un Paris suranné et disparu, ces gens qui courent après un passé hypothétique - finalement, qui est le narrateur importe peu : c'est les pistes suivies qui sont passionnantes.
Prenons ensuite La cliente, de Pierre Assouline : un biographe, dans le cadre de ses travaux de recherche, tombe sur une lettre anonyme dénonçant, en pleine Occupation, des membres de sa famille, morts en déportation. Le narrateur retrouve l'auteur de cette lettre, cette fameuse cliente, et cherche à savoir pourquoi elle dénonça. Là, c'est les détours, qui nous montrent diverses faces de la même action, qui sont passionnants, et qui font finalement froid dans le dos, pour tellement de raisons, successivement. Ce texte est remarquable, en ce qu'il multiplie les points de vue sur cette dénonciation et, partant, les impressions qu'on éprouve successivement, nous lecteurs, à l'égard de cette cliente. On lit le roman les yeux écarquillés, horrifié.
Prenons enfin Les Âmes grises, de Philippe Claudel. Vingt ans après, un narrateur nous dit la vérité sur un meurtre d'enfant, commis en pleine Grande Guerre à quelques centaines de mètres de la ligne de front. J'aime beaucoup Claudel parce que chaque phrase qu'il écrit est pour moi comme une caresse sur une joue, délicate et prenante. Dans ce roman se tressent deux temps, celui de l'histoire et celui de la raconter, et plusieurs niveaux de récits, sur l'enquête concernant le meurtre bien sûr, mais aussi sur l'histoire de tous ces gens et, en premier lieu, celle du narrateur - qui se dévoile ainsi petit-à-petit. Pour moi, c'est un livre magnifique parce que simplement compliqué, si cet oxymore m'est permis - mais je ne vois pas comment dire autrement ma fascination pour ce récit complexe et profond.

Patrick Modiano, Rue des Boutiques Obscures (Prix Goncourt 1978), éditions Folio ; 251 pages, 4,85€
Pierre Assouline, La cliente, éditions Folio ; 190 pages, 4,85€
Philippe Claudel, Les Âmes grises, Le Livre de Poche ; 280 pages, 6,50€

3 commentaires:

Anonyme a dit…

je l'ai lu au tout début de ma vie parisienne... et ton billet me donne envie de me replonger dedans maintenant que je connais mieux ma ville... rien que pour mieux "visualiser" les pérégrinations du héros.

Anonyme a dit…

je parlais des "boutiques obscures"...

Anonyme a dit…

eh bien plonge ! c'est un beau roman, comme tout ce que je connais de Modiano.
Mais le Claudel ne doit pas être en reste...