mardi 4 mars 2008

mamie Picard

Mamie Picard avait 66 ans quand je suis né : je l'ai toujours connue âgée, donc.
Mais elle ne s'en laissait pas conter : elle faisait son ménage, sa cuisine, ses courses et sa lessive (ça rendait ses filles folles de savoir qu'elle grimpait deux étages pour étendre son linge au grenier...) et, jusqu'à 88 ans, ils ont vécu, avec mon grand-père, dans leur maison sans presqu'aucune aide.
Puis mon grand-père est mort, il y a tout juste dix ans - et l'entrée en maison de retraite prévue à deux s'est finalement faite toute seule.
Dix ans que mamie vit dans cette maison, seule ("faut pas croire que ça a été facile", m'a-t-elle dit un jour), et qu'elle dit qu'elle en a marre des vieux qui se plaignent. Dix ans qu'elle fait son lit toute seule parce qu'elle en a marre d'attendre que les femmes viennent le faire. Dix ans qu'elle enterre ses frères, la tête haute. Et, la tête pas du tout partie, dix ans qu'elle compte les générations : cinq désormais - mamie Picard est arrière-arrière grand-mère depuis deux ans maintenant.
Mais mamie Picard en a marre. Elle n'attend plus rien, ni enfants ni mariages - et puis, à 98 ans consommés, elle n'a plus ses jambes, ni ses yeux ; un rien la fatigue et elle en a marre, légitimement.
Elle a dit la semaine dernière qu'elle ne se battrait plus. La mort risque de la cueillir bientôt maintenant. Je suis très triste à l'idée de la perdre, mais je comprends qu'elle veuille se retirer le plus dignement possible, et je l'encourage avec tout mon amour, qui n'est pas petit, à décider à sa guise.

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