vendredi 6 mars 2009

études sur la cruauté

D'habitude, mes lectures sont tous azimuts, sans suite, portées au gré de mes envies devant les tables des libraires. J'aime bien quand des livres me disent "lis-moi". Ce que je fais, donc - parfois pour mon malheur (Le Verrou de Muriel Cerf, que j'ai arrêté au bout de 400 pages environ, tellement c'était impossible de continuer...), souvent pour mon bonheur.
C'est donc, il y a un mois, Ombres sur l'Hudson, d'Isaac Bashevis Singer, qui m'a tendu les bras depuis la table de ma librairie. Je l'ai saisi et lu. Et là, un grand sujet m'a sauté à la gueule, littéralement : la cruauté. Ombres sur l'Hudson a été écrit en 1957 et est sensé se dérouler en 1947, au sortir de la guerre. Il pose fortement la question de comment peut-on continuer à être juif, comment peut-on à la fois être encore vivant et encore croyant après ce qui s'est passé ?...
Et moi, qui est pourtant été informé sur le sujet et ai même poussé ma connaissance un peu plus avant que mes cours d'histoire du lycée - voilà que je découvre cette question : comment a-t-on pu être nazi ? comment, plus généralement, peut-être être cruel au point de vivre dans un tel système.
Du coup, et pour la première fois de ma vie certainement, impossible de dévier de cet axe de lecture. Et des titres de livres d'arriver à ma mémoire, preuve s'il en fallait que ce sujet ne m'était donc pas si étranger que je le croyais.
J'ai donc ensuite lu Si c'est un homme, de Primo Levi. Le récit simple et digne d'un ancien détenu du camp d'Auschwitz, qui a survécu à l'horrible vie du camp et vécu sa libération. On sait tous les millions de morts, les exécutions barbares et sommaires (et Singer en parle à de très nombreuses reprises dans Ombres sur l'Hudson) - mais je ne savais pas la déshumanisation que ce système avait engendré. J'imaginais bien entendu une vie atrocement difficile - mais avec des détenus ayant conservé un instinct de vie sociale, d'humanité. C'est ça qui est le plus fascinant, d'une fascination morbide, dans Si c'est un homme : la description d'une vie rendue dure par les allemands, mais surtout par les autres détenus - pas la moindre solidarité dans ce monde où chacun pouvait mourir n'importe quand, sans raison. C'est extrêmement dur. C'est une lecture presqu'insupportable.
Qui me fait mieux comprendre ces images de Nuit et brouillard d'Alain Resnais, prises par les soviétiques à la libération d'Auschwitz de détenus bien entendu hâves et épuisés - mais totalement immobiles et apathiques. J'aurais imaginé qu'ils auraient sauté de joie - je comprends maintenant pourquoi ce silence et cette stupeur. C'est très difficile.
Il est désormais temps pour moi d'ouvrir Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, cet énorme roman qui fit tant parler de lui à sa sortie parce qu'il donne la parole à un officier nazi et montre, semble-t-il, la machine de l'intérieur. Peut-être trouverai-je une réponse à mon interrogation sur la cruauté, sur ce plaisir de faire souffrir que nous savons bien tous avoir en nous - pour torturer une limace ou une souris quand on est petit, actes qui nous réjouissent bien plus qu'on ne saurait l'avouer.
Je ne sais pas si j'irai jusqu'au bout de ma démarche mais je le crois. Il me faudra ensuite voir les huit heures de Shoah de Claude Lanzmann, enregistré il y a quelques mois lorsqu'il repassa à la télévision, les quatre de Nurenberg de Frédéric Rossif, voir cette Vague de Dennis Gansel qui, semble-t-il, montre le fonctionnement d'un régime autoritaire, puis peut-être relire Soljénitsyne - et creuser ce trou en moi, pour comprendre pourquoi ce sujet m'intrigue autant. Comme disait Samuel, la prise de conscience n'est pas que dans la philosophie : j'attends beaucoup de cette manière inédite pour moi d'introspection...

Isaac Bashevis Singer, Ombres sur l'Hudson ; Folio, 10,60€.
Primo Levi, Si c'est un homme ; Presses Pocket, 315 pages, 5,90€.

1 commentaire:

lelapingivré a dit…

judicieuse remarque de JB : il faut ajouter à cette liste Z32 d'Avi Mograbi et Hunger de Steeve McQueen, film étonnant pour l'un et terrifiant et fascinant pour l'autre...