samedi 6 septembre 2008

Le Roman de Ferrare

Qui aime les livres et ne connaît pas Les Cahiers de Colette, rue Rambuteau à Paris, rate quelque chose : une des belles librairies de Paris, avec une cheftaine libraire (très) haute en couleurs, et surtout un lieu où les vendeurs connaissent les livres et savent donc ce qu'ils ont à vous vendre, prenant même le temps de le faire - une perle, quoi...
C'est donc Colette qui, un jour d'errance livresque, me voyant tiquer sur ce gros livre (que ce soit dit : j'adore les gros livres, même si je mets ensuite des semaines à les lire...), me demande si je connais. Devant ma réponse négative, elle me le colle quasiment dans les mains, me disant "vous allez adorer". Deux ans bientôt que ce gros Quarto Gallimard veillait sur l'étagère des "non lus" (et de ce fait non classés) de ma bibliothèque, m'invitant au phantasme.
Devant le planning de l'été, j'ai décidé que l'heure était venue de m'y plonger avec délices - et c'est Colette qui avait raison : ce gros livre est tout simplement fabuleux.
Ce gros livre, c'est Le Roman de Ferrare de Giorgio Bassani, une sorte de Recherche du Ferrare perdu... C'est une somme à plusieurs titres : déjà parce que ça fait plus de 700 pages en grand format écrit bien petit, et surtout parce que Bassani y a réuni toute sa production en prose (c'était un très grand poète), soit six textes de forme et de nature très différentes avec un personnage central : la ville de Ferrare. Pas celle du temps de la splendeur de la cour d'Este : celle du XXème siècle, avant et après la grande fracture du fascisme et de la persécution des juifs.
Six textes : deux recueils de nouvelles, trois romans courts et un roman plus long, le plus célèbre de son auteur : Le Jardin des Finzi-Contini. Si les formes changent, perdure une prose absolument magnifique, complexe et exigeante, mais terriblement enivrante - et passionnante. Certains textes sont, par leur brièveté, claquants comme des gifles (Derrière la porte, terrifiante nouvelle semble-t-il autobiographique...) ou d'autres, s'inspirant du Nouveau Roman français (Le Héron), nous laissent dériver dans le malaise.
On peut lire Le Roman de Ferrare en continu ou en fragments (encore que je ne sais pas si chaque texte est publié séparément) : les textes ne sont ni chronologiques ni consécutifs, pas même dans la fausse autobiographie, à la première personne, que constituent les second, troisième et quatrième volumes - un personnage est évoqué d'un roman à un autre, mais souvent en manière d'anecdote plus que de référence. La lecture au long cours de ce Roman (dans cette magnifique édition de semi-poche, Quarto Gallimard : la couverture est belle et solide, la typographie belle et on peut, du fait de la reliure souple et de l'épaisseur du volume, lire à livre ouvert, sans tenir les pages) offre cependant une plongée dans une écriture magnifique, des textes très forts et donne, tout simplement, envie de se rendre à Ferrare.

Giorgio Bassani, Le Roman de Ferrare, Quarto Gallimard ; 752 pages, 25€.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut Vincent

En rentrant de vacances j'ai découvert ton blog via Elvino. Juste avant de partir dans le froid (suis interdit de soleil pendant un an because opération), je suis tombé chez un soldeur sur ce Bassani en Quarto. Je l'ai pris pour me resouvenir de Ferrare et surtout parce que à Pâques j'ai revu le film de De Sica "le jardin des Finzi-Contini" que j'avais adoré à sa sortie quand j'étais ado. Je n'avais lu de lui que les Lunettes d'or en Folio, lucide et terrifiant sur la vie d'un prof homo à Ferrare à l'époque.
J'avais emmené plusieurs bouquins en août, mais c'est le seul que j'ai lu d'une traite, bien qu'on puisse le lire en morceaux (5 ou 6 volumes en Folio je crois), ça ne pose pas de problème.

Je suis vraiment rentré en immersion dans le roman de Ferrare, en mélangeant avec mes propres souvenirs de la Ville(le Corso Ercole d'Este qui était pour Montaigne la plus belle rue du monde, le palazzo Schifanoia, le palazzo dei Diamanti, le cimetière juif que l'on retrouve dans le film...). Les deux fois où je suis allé à Ferrare, peu fréquentée par les touristes, je n'ai pas eu l'impression d'être en Italie mais...à Ferrare.
Sa belle qualité d'écriture (comme souvent chez les écrivains italiens, il revoyait lui-même ses traductions en français)est alliée à son regard puissant sur toute différence, celle d'être juif, d'être homosexuel (lui qui ne l'était pas), d'être intellectuel, d'être soi-même.

Deux ou trois choses:
- j'ai eu plus de chances que toi en ayant 140 pages de plus...
- j'ai bien apprécié à la fin l'appareil biographique et cette anecdote quand Bassani recommande à son ami Italo Calvino d'embaucher comme bibliothécaire un jeune instit viré de son boulot; Calvino le refuse car il le trouve trop jeune, c'était Pasolini...
-maintenant Ferrare me fascine encore plus, je ne sais pas si tu t'intéresses à la musique dite "de répertoire", mais c'est à la cour d'Este que le Tasse a écrit sa Jérusalem délivrée et l'Arioste son Orlando furioso, qui ont donné tant d'oeuvres chorales et lyriques. Bref autant de raisons pour y retourner!

Maintenant je vais jeter un coup d'oeil sur ton blog, pour l'instant je n'ai eu que de bonnes surprises avec les liens d'Elvino.

A bientôt
Mambrino

Samuel a dit…

Je ne connaissais pas du tout cet ouvrage, ni même cet auteur. Grâce à ta note, et grâce au commentaire ci-dessus, cela me donne envie de découvrir ces textes.
J'aime ces livres où la ville devient un personnage à part entière, où le lieu se personnifie pour devenir un élément de l'intrigue. Je repense à Ulysses de Joyce, où les déambulations dublinoises du héros (dont j'ai perdu le nom...) créent du sens; ou encore, dans un autre registre, à Virginia Woolf, dont Londres était devenue la figure de l'anti-héros dans la propre vie de l'auteure...
Tout ça pour te dire merci pour cette note qui me donne envie de nouveaux voyages littéraires...

Anonyme a dit…

Ce matin je suis allé plus loin sur ton blog et j'ai pensé que je t'avais demandé si "tu t'intéressais à la musique dite de répertoire".
La honte!

Enfin j'avais des excuses, je n'avais lu que le premier billet quand j'ai envoyé le commentaire.
Dès la première photo de famille j'ai compris ton pseudo, je t'ai déjà entendu sur scène (celle en première page de blog est en lunettes noires...).

Quand sortira le cd des requiems de Gilles et Campra?

Bien à toi
Mambrino