mardi 30 septembre 2008

moderne Princesse

C'est drôle la mémoire : je n'imaginais pas me souvenir de ce petit passage de Proust mais en fait si ! Il est un moment dans Le Côté de Guermantes où le Narrateur se rend compte qu'il s'est trompé sur le compte de sa servante, Françoise, et que son langage qu'il tenait pour "parsemé d'erreurs" est en fait comme une sorte de ressurgissement d'un parler plus ancien, et conclut en disant que Françoise est "en réalité la contemporaine de ces Français de jadis" (édition Folio, page 18) - eh bien je me suis rendu compte que ma grand-mère (pas cette mamie-là, mon autre mamie) est aussi une contemporaine des français de jadis...
En effet, j'ai toujours tenu pour patoisante la tournure "hier au soir" que ma grand-mère utilise souvent : eh bien v'là-t'y pas que je la retrouve sous la plume, vraiment pas patoisante, de Madame de La Fayette dans La Princesse de Clèves... Mamie, tu es une grande dame.

Car voilà : je relis La Princesse de Clèves, 17 ans (17 ans...) après l'avoir étudié en classe de seconde (seconde 1, c'est marqué en première page...). J'en avais gardé un bon souvenir et il me souvient de m'être dit que j'aurais bien envie de le relire un jour : c'est la seule raison que je vois pour que ce volume scolaire soit toujours dans ma bibliothèque, et non encaissé chez ma mère.
Relire La Princesse de Clèves semble être un acte anti-sarkozyste ces temps-ci : après que notre auguste Président en a dit, et redit, pis que pendre, il me semblait bon de retourner juger à la source.
D'autant que deux films sont sortis la semaine dernière qui, il n'y a pas de hasard, l'évoquent, brièvement (le livre que lit la soeur d'Agathe dans Parlez-moi de la pluie d'Agnès Jaoui n'est autre que... La Princesse de Clèves !) ou plus directement : ainsi La belle Personne de Christophe Honoré que j'ai vu avec un très grand plaisir. J'aime bien Christophe Honoré : il fait des films où les gens parlent comme on ne parle jamais dans la vraie vie, et où ils vivent des situations improbables qui émeuvent pourtant tout le monde... je me disais en voyant La belle Personne qu'Honoré serait bien le Truffaut de notre temps, et Louis Garrel son Léaud. Il est là Nemours, professeur d'italien qui tombe amoureux de Junie aux dépens de Grégoire Leprince-Ringuet (autrefois son petit amant en slip rouge...) - et il est bon, Louis Garrel. Le film est doux et triste, moderne malgré son parler impossible : oui, j'aime bien Christophe Honoré.
Et la vraie Princesse alors ? tous mes copains cinélivrophiles me disent "oui, il faut que je le relise" : moi je suis le courageux qui s'y est collé. Eh bien, c'est simple : quel chef d'oeuvre ! quelles délices merveilleuses offrent ce petit texte. Alors oui, c'est un monde dans lequel il faut entrer, cette courtoisie si chère au 17ème siècle, ces sentiments qui ne sont qu'à peine exprimés ou contenus mais qui brûlent si fort, en fait. C'est vrai, Président : on est loin de TF1, la Star Ac', Jean-Marie Bigard ou Christian Clavier - mais peut-être prendre un peu de recul ou, sans mauvais jeu de mots, de hauteur, n'est pas, de temps en temps, une mauvaise chose. Peut-être que madame de La Fayette emmerdera 9 futurs postiers sur 10 - mais le 10ème, croyez-moi, il aura découvert un monde fabuleux qu'il ne soupçonnait certainement pas et qui l'émerveillera profondément. Il aura eu la chance de lire cette splendeur :
Quelque application qu'elle eût à éviter ses regards et à lui parler moins qu'à un autre, il lui échappait de certaines choses qui partaient d'un premier mouvement, qui faisaient juger à ce prince qu'il ne lui était pas indifférent.
Oui : beaucoup plus de délicatesse que dans une photo à Disneyland - mais je sais de quel côté je préfère être...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Depuis longtemps la Recherche et la Princesse, depuis peu le Jaoui et la Belle personne, décidément on a un paquet en commun (et pas fiscal celui-là).

Il y a quelques jours j'ai bondi en lisant sur un blog "ON a tous en commun Madonna, Kylie, Mylène et [des séries américaines]".
Ben moi non, je ne me reconnais pas là dedans. C'est sûr que la culture dans l'éducation m'ont aiguillé autrement, mais après tout, quand j'ai connu ma moitié le baroque, les caravagesques, Kafka, c'étaient autant de terres inconnues. C'est à chacun de savoir transmettre ce qui nous a été offert.

"Oh! Méséglise, Combray, Tansonville", on tous connu une Françoise, mais je n'oublie pas qu'elle est aussi la nièce de Jupien!

Avant les vacances, dans un dîner de psys, leur seul point d'accord a été sur le rejet par qui-vous-savez de la Princesse de Clèves. Pour eux, la Princesse c'est l'amour absolu, inaccessible, qu'on ne touche pas, autant de choses incompréhensibles pour l'intermittent de la rue du Fbg St-Honoré.

En mai dernier, je suis allé au Café de la Danse au concert de Alex Beaupain (musiques des films d'Honoré), ça parlait du tournage de la Belle personne; j'ai alors trouvé assez surréaliste d'être assis à côté de Louis Garrel et de sa compagne Valeria, la belle-soeur de qui-vous-savez...

Mambrino

Anonyme a dit…

Si au moins une personne sur dix est intéressée par La Princesse de Clèves, alors le pari est gagné... Même si l'on n'amène pas les foules vers tel ou tel livre, amener ne serait-ce qu'une personne est pour moi un défi gagné...

J'ai plein de trucs à lire, mais ce genre de notes me donne envie de me replonger dans cet ouvrage...

P.S. : Je sais aussi de quel côté je préfère être, ça doit être le même que le tien...